Michel L. KEHL

GENERATIONS

EXPLOSIVES® 3

ROMAN

EXTRAITS

INTRODUCTION

Rappel des tomes précédents

   Marie Paule et Jacques se sont rencontrés en 1967 à Paris alors qu’ils étaient tous deux étudiants. L’une en socio. à Nanterre et l’autre en droit à Assas. A priori deux facultés diamétralement opposées politiquement. Pourtant leur union a fonctionné. Ils ont connu les « Evénements » et surtout l’atmosphère de l’époque avec ses valeurs en rébellion avec les volontés de l’Etat et avec ses bistros de quartier véritables temples du savoir. Ils ont traversé la dite époque, comme leurs congénères estudiantins, influencés par les troubles mondiaux – Vietnam, Indonésie, Palestine, U.R.S.S.,… - et bercés par une musique anglo-saxonne essentielle à leur survie dans un univers en complet chamboulement. Une mutation que le chef de l’Etat français se refusait de reconnaître.

A la même période Jacques s’est également lié à Paulo au hasard de sa vie mouvementée, toujours contrôlée à distance par son Oncle Paul, mentor de l’étudiant et Député de son état. Marie Paule et Jacques ne sont pas sortis indemnes de cette époque, qui les a forgés pour la vie dans un esprit de contestation, appelé « Esprit de mai ». Ainsi sont nés des soixante-huitards qui vont engendrer les Générations Explosives.

Associés par le mariage, ils sont entrés dans la vie conjugale en faisant fructifier leur formation, elle en tant qu’assistance sociale dans le public et lui en tant que juriste dans le privé. Deux enfants sont nés de leur union, Dany et Sophie, à un moment où communauté et contestation prévalaient sur le quotidien. La musique anglo-saxonne a contribué à assurer leur équilibre et le « pétard » est devenu la garantie première de leur bien-être. Au travail, ils sont devenus, à l’instar de leurs copains de l’ « Esprit de mai », des opposants résolus au système en général. Leurs enfants ont du s’élever eux-mêmes tant leurs parents étaient éloignés de leur existence, qui leur semblait manger leur quotidien. Ainsi Dany et Sophie se sont faits tous seuls mais ont constitué de ce fait une seconde génération. Ils ont découvert ce qu’était la Société, que celle-ci ne les attendait pas et ne devait pas leur faire de cadeau. Le premier est devenu syndicaliste et la seconde a traversé les démons comme le Sida et la phallocratie en devenant avocate. Pendant ce temps, Pink Floyd continuait à rassasier la première génération et le pétard à résorber tous les maux.

Seuls deux contrepoids ont permis à Marie Paule et à Jacques de rester dans l’axe et souvent de ne pas sombrer : Paulo, l’ami créateur dans l’âme et entrepreneur intemporel, et Oncle Paul, le tuteur permanent. La naissance de la troisième génération a parfait la notion de tribu, donnant aux géniteurs premiers un pouvoir supplémentaire de nocivité sociétale. Les Générations Explosives ont ainsi évolué dans un sentiment hostile, entretenu par la première génération. Et puis la vie ne les a pas épargnés des maux bien connus que sont la drogue, la violence, le divorce ou la haine. Les « petits » ont à peu près tout vécu ce que la Société avait de pervers à leur offrir. Mais un seul lien restait leur identité : le « pétard ». L’identité de la première génération bien sûr mais également un symbole devenu une marque de fabrique.

Il a fallu que la seconde génération, les enfants, fasse une introspection pour que l’alchimie ne s’effrite. En très peu de temps le château de cartes s’est effondré et la mainmise de la première génération s’est dégrippée entraînant deux générations vers un autre avenir à façonner. La seconde génération a pris son destin en mains et la troisième génération s’en est trouvée libérée pour enfin se découvrir des qualités et espérer en l’avenir.

L’isolation familiale et le vieillissement ont eu raison de la première génération, qui, au fil des ans, s’est mise à rêver de supériorité. La situation économique désastreuse de la France y a beaucoup contribué. L’entrée de la génération 68 dans la retraite a accéléré ces sentiments, incitant Marie Paule et Jacques à entamer une seconde vie aux frais de la collectivité. Leurs idées anciennes ont trouvé leur magnificence dans cette entreprise jusqu’à ce que l’âge ne les rattrape. Ainsi que le progrès technique ...

   Marie Paule et Jacques se sont rencontrés en 1967 à Paris alors qu’ils étaient tous deux étudiants. L’une en socio. à Nanterre et l’autre en droit à Assas. A priori deux facultés diamétralement opposées politiquement. Pourtant leur union a fonctionné. Ils ont connu les « Evénements » et surtout l’atmosphère de l’époque avec ses valeurs en rébellion avec les volontés de l’Etat et avec ses bistros de quartier véritables temples du savoir. Ils ont traversé la dite époque, comme leurs congénères estudiantins, influencés par les troubles mondiaux – Vietnam, Indonésie, Palestine, U.R.S.S.,… - et bercés par une musique anglo-saxonne essentielle à leur survie dans un univers en complet chamboulement. Une mutation que le chef de l’Etat français se refusait de reconnaître.

A la même période Jacques s’est également lié à Paulo au hasard de sa vie mouvementée, toujours contrôlée à distance par son Oncle Paul, mentor de l’étudiant et Député de son état. Marie Paule et Jacques ne sont pas sortis indemnes de cette époque, qui les a forgés pour la vie dans un esprit de contestation, appelé « Esprit de mai ». Ainsi sont nés des soixante-huitards qui vont engendrer les Générations Explosives.

Associés par le mariage, ils sont entrés dans la vie conjugale en faisant fructifier leur formation, elle en tant qu’assistance sociale dans le public et lui en tant que juriste dans le privé. Deux enfants sont nés de leur union, Dany et Sophie, à un moment où communauté et contestation prévalaient sur le quotidien. La musique anglo-saxonne a contribué à assurer leur équilibre et le « pétard » est devenu la garantie première de leur bien-être. Au travail, ils sont devenus, à l’instar de leurs copains de l’ « Esprit de mai », des opposants résolus au système en géné-

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général. Leurs enfants ont du s’élever eux-mêmes tant leurs parents étaient éloignés de leur existence, qui leur semblait manger leur quotidien. Ainsi Dany et Sophie se sont faits tous seuls mais ont constitué de ce fait une seconde génération. Ils ont découvert ce qu’était la Société, que celle-ci ne les attendait pas et ne devait pas leur faire de cadeau. Le premier est devenu syndicaliste et la seconde a traversé les démons comme le Sida et la phallocratie en devenant avocate. Pendant ce temps, Pink Floyd continuait à rassasier la première génération et le pétard à résorber tous les maux.

Seuls deux contrepoids ont permis à Marie Paule et à Jacques de rester dans l’axe et souvent de ne pas sombrer : Paulo, l’ami créateur dans l’âme et entrepreneur intemporel, et Oncle Paul, le tuteur permanent. La naissance de la troisième génération a parfait la notion de tribu, donnant aux géniteurs premiers un pouvoir supplémentaire de nocivité sociétale. Les Générations Explosives ont ainsi évolué dans un sentiment hostile, entretenu par la première génération. Et puis la vie ne les a pas épargnés des maux bien connus que sont la drogue, la violence, le divorce ou la haine. Les « petits » ont à peu près tout vécu ce que la Société avait de pervers à leur offrir. Mais un seul lien restait leur identité : le « pétard ». L’identité de la première génération bien sûr mais également un symbole devenu une marque de fabrique.

Il a fallu que la seconde génération, les enfants, fasse une introspection pour que l’alchimie ne s’effrite. En très peu de temps le château de cartes s’est effondré et la mainmise de la première génération s’est dégrippée entraînant deux générations vers un autre avenir à façonner. La seconde génération a pris son destin en mains et la troisième génération s’en est trouvée libérée pour enfin se découvrir des qualités et espérer en l’avenir.

L’isolation familiale et le vieillissement ont eu raison de la première génération, qui, au fil des ans, s’est mise à rêver de supériorité. La situation économique désastreuse de la France y a beaucoup contribué. L’entrée de la génération 68 dans la retraite a accéléré ces sentiments, incitant Marie Paule et Jacques à entamer une seconde vie aux frais de la collectivité. Leurs idées anciennes ont trouvé leur magnificence dans cette entreprise jusqu’à ce que l’âge ne les rattrape. Ainsi que le progrès technique …

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CHAPITRE 1

2016 : les générations 68 sont soumises à rude

épreuve

 

    Jacques profite du répit de la météo pour débâcher son canadien sur la terrasse. Depuis trois jours, le temps est à la pluie mais la température est clémente. Quelques oiseaux enhardis font comme lui, le regardent et se mettent en boule pour apprécier le bon air. La tête gavée de chiffres et de données historiques, dans le cadre de son travail de mémoire, il se laisse aller, grisé par l’ambiance. C’est Marie Paule qui le sort de sa somnolence : il ouvre un œil à l’écoute de son nom. Il constate que sa femme a sorti sa chaise et s’est posée pour pouvoir calmement confectionner deux « chichons ». Jacques le remarque et sourit.

--Le pied ! C’est exactement ce qu’il me faut.

Marie Paule sourit à son tour et termine son verre sans mot dire. Jacques se redresse brutalement.

--Veux-tu que je débâche ton fauteuil ?

Marie Paule lui passe le briquet-tempête.

--Non, merci ! Je suis bien.

Arrivé au bout de son mégot, Jacques regarde sa femme.

--Quelque chose ne va pas ?

Marie Paule met un moment à répondre.

--Oui, je suis triste : Michel Delpech est mort. Je n’en étais pas vraiment fan mais il faisait partie de ma vie. Depuis un an, cela fait beaucoup d’artistes qui s’en vont. Des artistes qui nous ont accompagnés. Je ne me prends pas la tête mais je ne peux m’empêcher d’y penser.

Jacques reste songeur. Il observe machinalement les oiseaux perchés et ne trouve rien à dire. Marie Paule reprend le flambeau de la parole.

--Je rentre chercher la musique. J’ai un coup de blues ; il n’y a que ça qui puisse me remonter.

Jacques, habituellement enclin à intervenir dans un tel cas, ne trouve rien à ajouter. Il s’affale sur son

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dossier tandis que sa femme regagne la maison. Il entend soudain la sonnerie de son téléphone portable l’appeler à l’intérieur. Il se redresse et fait un geste à sa femme, signifiant qu’il ne veut pas répondre. Depuis quelques mois déjà, il délaisse la sonnerie de son téléphone pour privilégier sa paix intérieure. Marie Paule est à l’unisson voire en avance : il lui arrive même de ne pas activer son appareil pendant plusieurs jours. Tous deux sont, semble-t-il, en train de rompre avec leur vie active qui les a menés jusqu’à leurs soixante-dix ans. Jacques est en pointe sur ce sujet car il ressent les atermoiements de son corps qui donnent des signes de faiblesse. Marie Paule, elle, ne présente pas de signe de vieillesse mais elle apprécie de relâcher son corps et son esprit régulièrement. Pendant cette parenthèse, elle est complètement hermétique à ce qui l’entoure. Jacques le sait, le comprend et le respecte. Ils restent tous deux, cependant, des retraités occupés : lui avec son œuvre de mémoire sur la période des « événements » et elle avec ses engagements en faveur du féminisme et de l’agriculture bio. Jacques continue en outre à suppléer son ami Eddy pour son activité politique, même si cela est devenu moins dense qu’auparavant. Le départ des oiseaux lui fait soudain ressentir la fraîcheur de l’après-midi. Marie Paule arrive d’ailleurs à cet instant et son regard suffit à corroborer ses sensations. Quelques minutes plus tard, ils sont calés dans leur fauteuil de salon respectif, les deux oreilles dressées vers Neil Young 1. Jacques a repris des couleurs et tapote sur les accoudoirs pour bien imprégner le son. Marie Paule balance sa tête les yeux réjouis. C’est alors que Paulo fait son apparition dans la pièce. Il est entré par la véranda et n’est donc pas passé par le sésame de la sonnette. Marie Paule et Jacques ne sont

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pas surpris de le voir. Il existe entre eux un sixième sens qui les relie à leurs aspirations réciproques.

--Salut les amis ! J’ai pris l’entrée secondaire. J’ai senti la bonne odeur végétale qui s’échappait de votre salon.

Marie Paule et Jacques sourient et saluent leur ami. Marie Paule se met aussitôt à l’ouvrage afin de confectionner trois nouveaux « chichons ». Très rapidement, Neil Young s’impose en maître des lieux. La bonne odeur végétale refait surface, conduite par la bonne musique. Longtemps plus tard, Jacques ouvre la bouche.

--Dis-moi Paulo que tu nous apportes des bonnes nouvelles !

Paulo inspire fortement.

--Je ne sais pas si cela va vous réconforter mais mon corps me fait moins souffrir aujourd’hui.

Marie Paule sourit.

--Bien sûr que c’est une bonne nouvelle !

Paulo poursuit.

--Mais je ne suis pas dupe : la bête est là et fait son chemin. J’ai passé la période de doute. Ca se terminera un jour et ça me fait chier de savoir que je ne peux rien y faire.

Jacques hoche la tête.

--Moi aussi je sens que mon corps fait la gueule. Et je ne peux rien y faire également. C’est la loi de la nature. Pourtant, j’ai encore plein de choses à dire et à entreprendre.

Paulo compatit.

--J’ai parfois envie de tout plaquer. Je dois me laisser influencer par la mauvaise ambiance générale.

Marie Paule intervient.

--C’est vrai que ça ne sent pas bon dans la rue. Les gens sont méchants et agressifs. On en a vécu des trucs mais là c’est le pompon. Il ne faut pas qu’on se

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laisse contaminer. Comme dit Jacques, on a encore plein de choses à dire. Même si on sait très bien que notre santé n’ira pas en s’améliorant.

Jacques soupire.

--C’est là qu’on voit qu’on est définitivement passé chez les vieux.

Le silence s’installe. La sonnerie du téléphone fixe les sort subitement de leur torpeur. Marie Paule se lève et saisit le combiné. Elle fronce les sourcils.

--Arrêtez de m’emmerder avec vos conneries !

Elle raccroche rageusement.

--Qu’est-ce qu’ils nous emmerdent avec leur pub à la con ? Je ne supporte plus.

Paulo baisse la tête.

--France Telecom n’a plus qu’eux pour faire vivre le fixe. Il serait tellement facile de leur bloquer l’accès.

Jacques hoche une nouvelle fois la tête.

--Moi je ne réponds même plus au fixe.

Sentant qu’un nouveau silence prend forme, Paulo s’adresse à Jacques.

--Alors ça avance ton écriture ?

Jacques se ressaisit.

--Je suis content de voir que tous ceux que j’ai contactés pour me refiler des infos ou des docs le font avec plaisir. Ca commence à se savoir que je bosse là-dessus.

Paulo est curieux.

--Tu as appris des choses ?

Jacques secoue la tête.

--Ce sont des anecdotes mais dans l’ensemble i l n’y a rien d’exceptionnel. Par contre, je me suis intéressé au sujet Révolution. En faisant un retour en arrière sur 1789. On a tellement fait l’amalgame qu’il fallait que je vois s’il y avait des similitudes. Eh bien pas du tout ! J’ai même été étonné de savoir que 89 était l’affaire de quelques-uns et que ça a été monté

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en épingle par la suite pour servir des intérêts. En fait tout le monde a déformé la réalité. J’ai même découvert qu’une grande partie des trucidés n’avait rien à voir avec l’Ancien Régime. Il y a plein de salauds qui en ont profité pour faire flinguer des rivaux, des concurrents ou même des membres de leur famille. Nous en 68, on était clair. On n’est pas rentré dans des salades de ce genre.

Paulo ricane puis siffle.

--Je m’étais intéressé à 89 il y a une vingtaine d’années. En essayant de trouver des infos j’avais compris que ça ne sentait pas bon.

Marie Paule bât l’air de sa main droite.

--Eh bien, je ne savais rien de tout cela. J’ai retenu ce que j’ai appris à l’école et c’est tout.

Jacques s’amuse des propos de Marie Paule.

--Quand tu regardes bien on nous a mis des trucs dans la tête qui ne sont pas toujours la réalité. Et l’enseigné a presque toujours fermé sa gueule.

Paulo acquiesce.

--C’est l’un des bons côtés du net. Avant il y avait la voix officielle et la voix des opposants. Maintenant tu trouves trente-six versions d’un événement.

Jacques s’étonne des propos de Paulo.

--Parce que tu trouves ça positif toi ? Si c’est le bordel actuellement c’est bien à cause de ça !

Paulo se redresse.

--Je n’ai pas dit que je trouvais ça positif. Le problème est qu’on n’a pas appris aux gens à faire la part des choses.

Jacques lève les bras.

--Ca t’étonne ? Un individu formé à trier n’est pas bon pour l’intérêt général. On en revient au « Grand Charles ».

Paulo toussote.

--Parce que c’était un militaire. Tu remarqueras d’ail-

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leurs que, depuis, aucun de la Grande Muette n’a essayé de prendre le pouvoir !

Jacques confirme.

--Pas la peine ! Tous les politicards sont en phase.

Paulo se gratte la tête en regardant Jacques.

--A priori, vous en êtes où avec Eddy pour la politique ?

Jacques écarquille les yeux.

--Eddy est en Charente actuellement. Chez le gars qu’il avait vu en 2014 lors de son enquête sur nos copains. Il doit d’ailleurs te passer des infos par le net ce soir pour le blog. Concrètement, Eddy a usé une partie de sa motivation l’année dernière. D’une part il a pris à cœur les attentats, d’autre part il pense qu’avec la disparition de Flanby l’année prochaine on a bien fait notre boulot.

Marie Paule est toute ouie.

--Mais il peut encore se représenter en 2017.

Jacques éclate de rire.

--A moins qu’il ne soit suicidaire ! Non, il est mort.

Paulo va au bout de sa question.

--Et toi là-dedans ?

Jacques soupire.

--Ma priorité c’est la mémoire de 68. Mais je lui ai promis que je continuerai à être présent, notamment pour motiver les plus jeunes. A ceci près que je ne cours pas après les Z.A.D., je laisse ça à Eddy.

Paulo se prend au jeu.

--Comment tu vois l’après-Flanby ?

Jacques fait la moue.

--Je ne crois pas du tout à la victoire des extrêmes. On va voir ce que la droite va nous faire avec les primaires. C’est plutôt l’abstention qui m’inquiète. Eddy s’en fout mais pas moi. Je sens très mal l’ambiance générale. Qu’il y ait un peu de bordel me va bien, parce que ça nous permet d’avancer. Mais

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CHAPITRE 2

2016 : La deuxième et la troisième génération 68

relèvent la tête

   Dany se tient la tête entre les mains, assis sur le banc en bois à l’entrée du bâtiment des stalles. Dehors il pleut et le manège est désert. La journée s’annonce difficile, voire très difficile. Il a découvert ce matin que Sue Ellen plonge dans l’anorexie. Depuis plusieurs semaines il est attentif à son comportement puisqu’il la voit plus régulièrement à la maison. Il a décidé de ne pas la brusquer tout en ne la ménageant pas sur sa propension à rationner son alimentation. Bruce s’est allié à son père, de sa propre initiative, pour enquêter sur la cause du comportement de sa sœur. Lui aussi ne la provoque pas mais lui tend des perches de temps en temps pour essayer de comprendre. La dite enquête avance et retombe à plusieurs reprises sur les fréquentations de Sue Ellen. Dany et Bruce conservent cependant leur calme afin d’en savoir davantage sur celles-ci. Cette situation freine durement la capacité de repos de Dany.

Ce matin, brumeux dans les cieux et dans sa tête, s’est assorti d’une violation de propriété à l’Assemblée : la maison dédiée à la location, dite maison d’en haut, a été visitée pendant la nuit. Les dommages sont importants si bien qu’il lui a fallu faire appel aux gendarmes. Ceux-ci viennent de quitter les lieux après une longue investigation. Emilie sort Dany de sa léthargie en lui faisant face.

--Je te dérange ? Qu’est-ce que tu en dis ?

Dany se redresse, offrant une tête défaite.

--Je vais modifier la sécurité et revenir aux techniques d’avant. Parce qu’il est clair que quelqu’un a bidouillé l’informatique pour entrer. D’autre part, je vais afficher en plusieurs endroits que la propriété est surveillée. Et puis, je vais surement ressortir le fusil d’Oncle Paul.

Emilie ouvre de grands yeux.

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--Hein ! Tu délires ?

Dany hoche la tête.

--Non, cela va me rassurer car j’ai toujours pensé qu’en matière de sécurité on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Emilie lève les bras à plusieurs reprises.

--Tu es pour l’auto-défense ?

Dany soupire.

--Oui, je l’ai toujours été ! Mais de là à tuer, il y a une marge.

Emilie se montre circonspecte et tourne les talons.

A peine deux minutes plus tard, le téléphone portable officiel de Dany laisse entendre la voix de Bruce.

--Je sais pour Sue Ellen. Il faut qu’on se voit à la maison. Ca ne peut pas attendre. Il y a un gars qui la manipule.

Dany respire profondément.

--J’arrive tout de suite. !

Peu de temps après, il écoute son fils lui raconter par le menu ce qu’il a appris : un proxénète roumain fait miroiter à des jeunes filles une entrée dans le monde fermé des défilés de mode. Sue Ellen est l’une des victimes. Dany s’effondre dans son fauteuil du salon et fait travailler son cerveau très brièvement avant de se jeter sur son téléphone portable non officiel. Il parle très peu de temps avant de revenir vers Bruce qui n’a cessé de l’observer.

--Ca va se régler dans la journée. Je te remercie pour le boulot, Bruce. Grâce à toi on va pouvoir récupérer ta sœur. Par contre, il va falloir y aller mollo avec elle. Ne parle pas de ce que tu sais.

Bruce plisse les yeux.

--Je peux savoir ce que tu as fait ?

Dany se lève.

--J’ai demandé à quelqu’un, qui m’est redevable, de

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s’occuper de ce type.

Bruce ouvre cette fois très grand les yeux.

--Il ne va pas être flingué, quand même ?

Dany s’en amuse.

--Non, rassure-toi ! Mais il ne fera plus de mal à personne dans notre pays.

Il fait beau aujourd’hui. Malgré cela Marie Paule, Jacques et Paulo se sont installés sous la véranda toutes baies ouvertes. Jacques a choisi C.S.N.Y. 3 pour accompagner leurs cigarettes bio et la paix de leurs âmes. Alignés dans leurs fauteuils respectifs, face à la nature magnifique, ils ne disent mot jusqu’à ce que le téléphone portable de Marie Paule ne vienne troubler leur sérénité. Celle-ci se lève lentement et s’éloigne pour converser. Elle revient peu après la mine réjouie. Elle regarde subrepticement les deux visages posés sur elle et s’éloigne vers la cuisine. Pour en revenir exactement trois minutes plus tard munie d’une bouteille de Champagne Taittinger et de trois coupes. Elle se pose délicatement dans son fauteuil et remplit les trois verres. Ce n’est qu’alors qu’elle daigne se tourner vers Jacques et Paulo, un verre dans chaque main. Ceux-ci saisissent l’objet tout en la fixant de leurs yeux interrogateurs. Elle attrape sa coupe et se délecte des bonnes bulles. Au bout de longues minutes elle se tourne vers ses voisins.

--Il prend ! La ferme change de mains. A la vôtre !

Jacques se jette contre son dossier et respire lourdement. Paulo fait un quart de tour et lève son verre vers la maîtresse des lieux.

--Je bois à vous et à ce grand jour. Bravo !

Marie Paule se sent obligée de donner des explications à Paulo, qui n’est pas dans le secret des négo-ciations en cours.

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--C’est le huitième et c’est le bon. On ne l’avait pas senti plus accro. que les autres mais son projet est intéressant. Il a soixante ans environ, habite la région depuis toujours et a une grande expérience du commerce. Il a revendu trois magasins alimentaires et veut désormais vendre ce qu’il a produit. En cela, il a bien compris la situation actuelle de la production et de la vente. Il a bien essayé d’inciter les paysans revendeurs à lui fournir de la marchandise normée à sa façon mais aucun n’a accepté. Alors il a décidé de passer à la production. Il s’est bien entendu avec Roger et il veut que je continue à m’investir avec lui dans le bio.

Paulo sourit.

--En fait, il est la synthèse idéale.

Marie Paule en convient.

--C’est cela ! Il nous semblait un peu trop ambitieux avec sa volonté de produire tous azimuts : viande, laitages, légumes, fruits, etc. Nous savons qu’il est en négociation pour racheter un maraîcher sur la route d’Orléans. J’ai été claire avec lui sur la nuisance des producteurs locaux inféodés aux organisations agricoles. Ca la fait rigoler.

Paulo s’adresse à Jacques.

--Je suis content ! Ca ne pouvait difficilement mieux tomber. Et puis, pour vous, ce sera un poids en moins.

La musique s’arrête juste à cet instant. Jaques se lève pour y remédier. Il choisit cette fois Simon & Garfunkel 4 et revient se poser. Marie Paule le lui fait remarquer.

--Hum, bon choix Jacques ! Au fait tu sais qu’il y a plus de dix cassettes d’eux qui attendent leur numérisation. Puisque tu as le matériel tu pourrais t’en occuper !

Jacques regarde sa femme et secoue très affirmati-

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vement la tête. Paulo en profite.

--Quand tu auras fini, je t’emprunterai ton appareil. Moi aussi j’ai plusieurs cartons de cassettes en attente. Ce n’est pas avec la musique actuelle que je prends mon pied. Il n’y a pas grand-chose de bon et quand ça l’est ça a été plagié. Ils ne sont vraiment pas doués les artistes actuels.

Marie Paule approuve.

--Oui, c’est vrai ! Vous savez qu’il y a des sociétés à l’étranger qui envoient les copieurs au tribunal pour faire du fric ?

Jacques souffle bruyamment.

--Tu nous l’as déjà dit Marie ! Tu te répètes.

Marie Paule s’emporte.

--Tu m’agaces ! Toi aussi, tu dis les choses plusieurs fois et je n’en fais pas une montagne.

Paulo intervient.

--Calmez-vous ! On en est tous là. C’est normal, parait-il, avec l’âge…

Paulo se tait brusquement, jette la tête en arrière puis se lève lentement et se dirige vers les toilettes. Il revient très peu de temps après et doit faire face aux regards interrogateurs de ses hôtes.

--Ca va ! J’ai du mal à tolérer les nouveaux médocs. Je suis passé à une dose plus forte. Par moments c’est dur.

Marie Paule essaie de le rassurer en lui parlant de leurs soucis.

--Nous aussi, on a une boîte à médocs. On est prudents sur ce qu’on prend mais on ne peut pas tout enrayer avec le naturel.

Paulo se tourne vers Jacques.

--Ca va mieux, ta tension ?

Jacques n’aime pas parler de sa santé.

--Ca fait du yoyo en permanence.

Marie Paule précise.

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CHAPITRE 3

2016-2017 : La première génération 68 prend un

coup au moral

   Pour ce 14 octobre Eddy a mobilisé toutes ses relations de Seine-et-Marne. En 24 heures, depuis l’information du Prix Nobel de Littérature attribué à Bob Dylan, Eddy et Annie, assistés de six copains, ont contacté plus de deux cents personnes pour les inviter chez lui à la Maison des Charbonniers de la Forêt de Fontainebleau. Vers 20 heures, ce ne sont pas moins de cent soixante-trois convertis qui convergent vers le point de rendez-vous. L’intérieur de la maison est totalement dévolu au pape Bob avec des portraits géants, des guitares accrochées aux murs et une musique incitative. Eddy, lui-même, s’est habillé de cuir ainsi qu’un grand nombre de ses invités. Les tables sont garnies de plateaux de victuailles apportées par le traiteur et la demi-palette de Sancerre n’arrête pas de se démunir. Eddy a fait appel aux soutiens de ses jeunes amis de la Z.A.D. pour l’aider à la logistique. L’ambiance est énorme, comme aucun professionnel de la scène n’a jamais vécue, jusqu’à ce qu’Eddy stoppe totalement les amplis. Il se hisse sur un marchepied et prend le micro.

--Mes amis, bonsoir ! Ca y est, Bobby a pris le pouvoir. (Les cris se propagent). L’un des nôtres est le roi du monde. (Les cris redoublent). Nous sommes tous les rois du monde, grâce à lui. (Le vacarme est total). Nous n’avions pas le droit de passer à côté, ce soir c’est merci Bobby ! (La musique repart à fond les tympans).

Eddy descend de son piédestal. Trois sosies de Bob font leur apparition sous les applaudissements et se faufilent parmi les convives. Deux quadras, sans doute enfants de …, jettent une botte de beu sur chaque table ainsi que des boîtes de paquets de feuilles Job. Le tumulte est total. En quelques minutes, l’atmosphère s’enfume au point qu’on ne voit

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plus à deux mètres. Les corps fluctuent, dansent et se dévergondent. Difficile d’imaginer que la moyenne d’âge est supérieure à soixante-dix ans. D’ailleurs, tout un chacun a de nouveau vingt ans et les soucis de la vie de vieux sont oubliés.

Tout à coup la musique s’arrête, le brouhaha de réprobation est énorme. Sous les projecteurs apparaît alors Eddy affublé du masque en latex du « Grand Charles ». La bronca est colossale et les pop-corn, fraîchement atterris sur les tables, volent dans les pièces. Eddy se fraye un chemin sous la pluie de pop-corn et ressort par la terrasse. Dès qu’il revient sans son masque, la musique repart à fond et les vivas sont tumultueux.

Quand Eddy émerge de son sommeil, il découvre qu’il est allongé sur la banquette arrière de sa voiture dont les quatre portières sont grandes ouvertes. Il fait clair et frais dehors et seule la nature le relie au monde des vivants. Il se lève avec difficulté, réalise où il se trouve et parcourt quelques mètres pour atteindre sa maison. Il découvre une habitation sens-dessus dessous, parcourue de détritus sur le sol et de verres et de bouteilles sur les tables. Toutes les fenêtres et portes sont grandes ouvertes. Quelques lumières sont allumées mais il n’y a pas âme qui vive. Sur les murs sont affichés des portraits de Bob Dylan, ce qui le ramène subitement à son passé récent. Il sourit et en même temps s’inquiète de ne pas trouver d’être humain sur son chemin. La tête lui tourne par moment mais il prend peu à peu contact avec la réalité. Il se remémore les agapes de la veille et leurs préparations dans la frénésie. Il manque soudain de tomber en heurtant une paire de jambes tendues par terre. Son regard se porte alors vers le sol où il aperçoit quatre corps. Il a la présence

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d’esprit de se pencher pour constater que les quatre individus dorment. Il poursuit alors sa route jusqu’à la cuisine où il trouve sa femme allongée, endormie sur la paillasse de l’évier. Il retient à peine un rire avant de la réveiller. Celle-ci ouvre un œil et sourit.

Le lendemain, vers 17 heures, des volutes de fumée s’échappent de la terrasse ouverte chez Jacques et Marie Paule en direction des grands arbres du jardin, qui perdent leurs feuilles. Bob Dylan joue quelques accords sur la platine et quatre êtres humains garnissent des fauteuils canadiens en bois, sans mot dire. Françoise Morand et Paulo accompagnent leurs hôtes dans une profonde satisfaction corporelle. Marie Paule est, comme souvent, la première à refaire surface.

--Je repensais à la soirée d’Eddy : c’était génial ! Je n’ai pas su à quelle heure ils ont terminé, mais ça devait être tard ce matin. Franchement je n’ai jamais vu Eddy dans cet état. Et ce monde : de la folie !

Paulo fait grise mine.

--Ca me fout les boules ! Je n’ai même pas pu y aller à cause des médocs.

Françoise rejoint Marie Paule dans son enchantement.

--Je suis partie à 12h30. Heureusement que je n’ai pas croisé de flics sinon j’étais bonne pour le niouf. Qu’est-ce qu’on s’est marrés ! Franchement je n’avais pas vécu ça depuis très longtemps. Ca fait du bien de rajeunir.

Jacques donne également son avis.

--C’était super ! Dommage que tu n’aies pas pu venir Paulo ! Il faut dire que ça s’est décidé rapidement.

Paulo confirme.

--Je n’ai pas eu le temps de me retourner. Je devais prendre les médocs. Et je suis avec vous et Bobby

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aujourd’hui.

Jacques lui pose amicalement la main sur le genou.

--Tu as raison ! Tiens, pour changer de sujet : nous passons à l’hybride. On vend la Volvo et on prend une Toyota. Un S.U.V. également.

Paulo fronce les sourcils.

--J’ai failli me faire enquiller par une électrique à Orléans en traversant au passage clouté. Je ne l’ai pas entendu venir. C’est dangereux pour les piétons.

Jacques acquiesce.

--Je suis d’accord avec toi. Ce n’est pas adapté du tout à la ville l’électrique, alors que c’est au départ conçu pour ça. La solution c’est le klaxon. Mais si la ville devient un réservoir à klaxons ça va vite être le bordel. Il n’y a que l’alarme volumétrique qui puisse changer les choses. Mais ne n’est pas encore au point.

Marie Paule a tout entendu.

--On a fait le calcul avec Jacques : l’hybride n’est moins chère à l’utilisation que le thermique. Mais on s’y met pour participer à la diminution de la pollution.

Françoise est satisfaite.

--Vous faites bien ! Moi je vais acheter une Zoé. Je ne fais plus assez de kilomètres pour continuer à entretenir le 4X4. Par contre, je suis d’accord avec Paulo, c’est dangereux en ville, l’électrique.

Marie Paule fait l’enjouée.

--Il ne te reste plus qu’à vendre ta baraque et à intégrer une résidence senior.

Françoise éclate de rire.

--Tu as raison ! J’ai suivi la construction d’une résidence comme ça près de chez nous. C’est une histoire de dingues. Ils sont enfermés dans un camp où il n’y a qu’eux. Personne ne peut entrer ou sortir comme il veut. Et puis c’est bourré de services réser-vés aux vieux. La mort assurée dans la ligne droite.

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